La version de votre navigateur est obsolète. Nous vous recommandons vivement d'actualiser votre navigateur vers la dernière version.

La mort de soi

 

La vision de la mort se modifie progressivement à partir des XIème et XIIème siècles, durant le second moyen âge.

La familiarité avec le mort de l’époque traditionnelle correspondait à une conception collective de la destinée. L’homme acceptait sereinement la mort comme une des grandes lois de l’espèce humaine. Il ne songeait ni à s’y dérober, ni à l’exalter.

Ces phénomènes nouveaux qui apparaissent au second moyen âge mettent plus en avant la particularité de chaque individu par rapport au destin collectif de l’espèce. Ces changements apportent  donc peu à peu un sens plus dramatique et personnel à la mort.

On peut retrouver cet évolution à travers :

    - La représentation du jugement dernier à la fin des temps

    - Le déplacement du jugement à la fin de chaque vie, au moment ponctuel de la mort

    - Les thèmes macabres et l’intérêt porté aux images de la décomposition physique

    - Le retour à l’épigraphie funéraire et à un début de personnalisation des sépultures


La représentation du jugement dernier

Dans un premier temps, la résurrection des morts à lieu à la fin des temps, sans jugement ni condamnation. Les morts confiés à l’église s’endorment jusqu’au jour du grand retour au paradis, et ceux qui n’y appartiennent pas ne se réveillent pas.

A partir du XIIème siècle apparaît la séparation des justes et des damnés. C’est le jugement individuel, le pèsement des âmes par l’archange saint Michel.

La représentation évolue un peu à partir du XIIème siècle avec la séparation des justes et des damnés. Les bonnes et les mauvaises actions sont scrupuleusement séparées sur les deux plateaux de la balance et sont inscrites sur le livre des comptes individuels à présenter aux portes de l’éternité. Mais le moment de ce jugement reste encore la fin des temps et non le moment de la mort.


Le déplacement du jugement au lit du mourant

A partir du XVème siècle, le temps eschatologique tend à disparaitre. On retrouve le modèle traditionnel de la mort au lit, avec un mourant couché, entouré de ses amis et de sa famille qui exécute les rites décrits dans la mort apprivoisée.

Désormais, le grand rassemblement de la fin des temps se fait dans la chambre du malade. La balance de pesée du bien et du mal ne sert plus.

Plus qu’une lutte cosmique entre les puissances du bien et du mal qui se disputeraient la possession du mourant qui lui-même assisterait à ce combat comme un étranger, il s’agirait plutôt d’une dernière tentation à laquelle il serait soumis en présence de Dieu et sa cour.

Le mourant voit sa vie telle qu’elle est contenue dans le grand livre et il peut être tenté :

    - soit par le désespoir de ses fautes,

    - soit par la « vaine gloire » de ses bonnes actions,

    - soit enfin par l’amour passionné des choses et des êtres.

Son attitude effacera d’un coup les péchés de toute sa vie s’il repousse la tentation ou annulera toutes ses bonnes actions s’il y cède.

Il y avait dans la représentation traditionnelle de la mort au lit un rite apaisant qui solennisait le « trépas » et réduisait les différences entre les individus. On comprends alors que la solennité rituelle de la mort au lit, qui a persisté jusqu’au XIXème siècle, a pris à partir de la fin du moyen âge un caractère plus dramatique qu’avant. Le rôle du mourant lui même dans les cérémonies de sa propre mort a été renforcé.


Les thèmes macabres et l’intérêt porté aux images de la décomposition physique.

La représentation du cadavre, appelé encore « transi » ou « charogne » sous une forme à demi décomposée reste rare, le gisant restant toujours plus répandu dans l'art funéraire.

La décomposition est par contre un thème plus familier de la poésie des XVème et XVIème siècle. Cette décomposition peut être comprise comme le signe de l’échec de l’homme.

A partir du XVIème siècle, le mot de « charogne » disparaît des testaments. Cette horreur de la mort physique y devient tout à fait absente, laissant supposer qu’elle l’était également totalement dans la mentalité commune.

A partir du XVIIe, c'est le squelette et les os (« morta secca »), et non plus le cadavre en décomposition, que l’on retrouve sur les tombes et parfois même à l’intérieur des maisons.

 

Le retour à l’épigraphie funéraire et à un début de personnalisation des sépultures

Dans la Rome antique, chaque défunt avait un endroit de sépulture appelé loculus souvent marqué par une inscription. Ces inscriptions restent toujours assez nombreuses au début de l’époque chrétienne, signifiant ainsi le désir de conserver l’identité de la tombe et la mémoire du disparu.

Elles commencent à se faire plus rare à partir de Vème siècle puis disparaissent si bien que les sépultures deviennent complètement anonymes. Le défunt était abandonné à l’église jusqu’au jour où il ressusciterait.

Après 8 à 9 siècles d’absence, ces inscriptions funéraires réapparaissent, tout d’abord sur les tombes des personnages illustres.

Une relation nouvelle s’établit à partir du XIème siècle entre la mort de chacun et la conscience qu’il prend de son individualité.

Si l’homme du premier moyen âge se résignait à l’idée d’une mortalité collective, celui du milieu du moyen âge se reconnaît lui même dans sa mort. Il a découvert « la mort de soi ».